Ce n’est que maintenant que je m’aperçois que je n’ai pas écrit d’article pour compléter, commenter et, bien-sûr, argumenter mes vidéos sur la réalisation de l’encre taille-douce « fait maison ».
Ceux des vous qui me lisent ici, connaissent mes exploits sur ma chaîne YouTube, vice versa, ceux qui ne connaissent que mes vidéos, pas toujours ont trouvé le lien à l’article correspondant, car, bien sûr, il n’y avait pas d’article… et vous, qui vous me lisez assidument, vous n’avez pas vu de vidéo si elle n’apparaisse pas dans un article, un chien qui se mord la queue finalement.
Il faut que je me presse à régler au mieux cette lacune.
Préparer l’encre taille-douce fait maison
Ce n’est pas moi qui à inventé l’encre, ni cette recette spécifique, je l’ai plutôt découverte.
À la naissance de l’art d’imprimer, le problème, logiquement, se présenta soudain et, logiquement, il a fallu y mettre remède.
Mais qui donc aurait inventé l’encre pour l’impression si non l’inventeur de l’estampe moderne? Eh bien oui, c’est bien Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg, au milieu du 15e siècle, qui a rempli la tâche. Cela se passait au même temps que, en Italie, la chalcographie (l’estampe en creux d’après des matrices en cuivre) faisait ses premier pas.
En quoi consistait cette invention de Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg ?
M. Gutemberg se trouva devant le dilemme que les encres disponibles à son époque, étaient à l’eau. Même si prévus pour l’estampe, ceux-ci fonctionnaient avec des matrices en bois, mais sur son invention les « caractères mobiles » étaient en métal et l’encre à l’eau n’adhérait pas.
Il inventa donc, l’encre à l’huile.
Comme c’est fascinant l’Histoire, nous sommes à la moitié du XVe siècle et c’est aussi le moment où la peinture à l’huile passe de technique marginale, et expérimentale, à reine des techniques picturales.
Donc, M. Gutemberg utilisa pour ses essais, très probablement, de la peinture à l’huile qu’à l’époque ne se trouvait pas dans un tube chez le marchand de beaux-arts, mais il fallait la composer par ses propres soins mélangeant les pigments, eux aussi broyés par l’artiste (le plus souvent par son apprenti), avec des huiles « crues ».
Huile cuite, huile crue
Je prends ici quelque ligne pour vous donner l’explication sur la différence entre ce deux préparations, car là se trouve la grande différence entre notre encre taille-douce et la peinture à l’huile.
Pour faire plus concis, quand je vous écris de l’huile, ici dans cet article, je sous-entends huile de « lin », en revanche, je vous spécifierai si c’est d’autre nature.
L’huile qui compose la peinture, ou que j’utilise pour la diluer, est de l’huile crue, cet à dire vierge et pas chauffée, ce type d’huile est dite siccative, car au contact de l’oxygène, présent dans l’air, sèche ou, mieux, polymérise, c’est à dire qu’elle dévient une sorte de plastique flexible mais dure.
Cette caractéristique permet une très bonne conservation et résistance des œuvres réalisées avec ces couleurs.
L’huile crue sèche très lentement (d’autres comme celle de l’œillet encore plus lentement), en revanche si un traitement thermique leur est appliqué, ces huiles, sécheront plus rapidement et créeront une surface encore plus dure une fois complètement polymérisées.
Mais quelle est la vrai raison pour laquelle les encres d’imprimerie utilisent l’huile cuite?
C’est parce-que celle ci « poisse », c’est à dire qu’elle colle, adhère aux caractères en métal.
En imprimerie cet huile collante prenait le nom de « vernis », car à l’origine servait à vernir les ouvrages en bois (et sous une forme moins dense, le standolie, est encore utilisé pour le glacis de la peinture à l’huile) , mais attention, il n’est pas à confondre avec le vernis qui protège les plaques de l’action du mordant à graver, dont la plupart sont à base de asphalte et poix.
Fait à l’ancienne
J’ai quand même cherché pas mal d’informations avant de me lancer dans la réalisation de l’encre et les sources que plus m’ont aidé à l’accomplissement de ce projet viennent toutes des siècles passés, car, actuellement, la pratique de faire l’encre à l’atelier est totalement perdue.
Dans les manuels d’imprimerie datant du XIXe siècle j’ai trouvé la recette pour faire l’encre à partir de zéro…
Mais ne vous lancez pas ! La chose n’est pas anodine et, à part le broyage du pigment, la cuisson de l’huile reste une opération compliqué, très dangereuse et polluante.
Toutefois, pour satisfaire votre curiosité, je vous indique la méthode avec laquelle anciennement on produisait l’huile cuite : le vernis.
Il était une fois de l’huile de noix, car c’est avec cette huile que les imprimeurs jadis préparaient leur encre.
Ayez une marmite de fer ou de cuivre dont les anses soient saillantes par le haut, avec un couvercle qui ferme bien hermétiquement.
Remplissez à moitié ce vase de l’huile que vous voulez faire cuire, et mettez-le découvert sur un feu clair. Pour dégraisser l’huile, mettez-y, pour cinquante livres, une demi-livre de croûtes de pain très sèches, et six ou sept ognons que vous n’en retirerez que lorsqu’ils seront réduits en charbon. Laissez l’huile cuire ainsi pendant environ deux heures, jusqu’à ce qu’elle soit prête à prendre feu. Quand elle s’enflamme, on couvre le vase, et on l’ôte de dessus le feu : alors on le découvre pour laisser brûler l’huile; on ne fait plus cuire ensuite qu’à un feu doux, et pendant environ trois heures.
de : Manuel de l’Imprimeur de M. Audouin de Géronval
Je vous conseils aussi de lire l’intégralité ces deux ouvrages du XIXe siècle, le Manuel complet du marchand papetier et du régleur, contenant la connaissance des papiers divers, la fabrication des crayons… des encres… par MM. Julia de Fontenelle et P. Poisson,… , d’où vient la citation ci dessus, et le Nouveau manuel complet de l’imprimeur en taille douce / par M. Berthiaud ; rédigé par M. Boitard… où on peut lire aussi :
[…]
On prend alors une tranche de pain rassi, coupée comme pour faire une tartine ; avec les pincettes on la plonge dans l’huile, on l’y promène jusqu’à ce qu’elle ait roussi, et qu’elle soit parfaitement frite sans être brûlée.
On la retire alors et on la jette, ou on la donne aux apprentis qui la mangent après l’avoir salée.
[…]
Il en est maintenant… des huiles épaisses déjà prêtes à l’usage
Heureusement l’imprimerie moderne et artistiques a encore besoin de ce type de produit, on trouve donc en commerce, dans les magasins spécialisés en articles pour la taille-douce et dans ceux pour l’imprimerie traditionnelle, des huiles dites « graisses » ou « à diluer » qui conviennent à cette expérience.
La génèse
Sans aucun doute vous vous demandez pour quelle raison je me suis mis à préparer l’encre taille-douce moi-même quand dans le commerce il y a un choix pratiquement infini, soit dans la qualité que dans les couleurs.
Bien, c’est en regardant cette vidéo que je suis resté foudroyé par la soif de connaissance…
On y voit l’ancien directeur des ateliers de taille-douce de la Chalcographie du Louvre qui prépare l’encre avant l’impression d’un gravure ancienne.
Première tentative
À partir de ça j’ai commencé mes recherches et je me suis mis à expérimenter… avec un certain étonnement ma première tentative pour préparer l’encre taille-douce fait maison fut déjà assez bonne et j’eus l’idée de la filmer.
Je partage avec vous cette première vidéo sur l’encre où j’ai utilisé une huile distribué par JoopStoop, dans d’autres expériences, l’encre est fait avec de l’huile à diluer de la marque Charbonnel, je n’ai pas vraiment vu de différence entre les deux produits qui ont le même aspect et une densité semblable.
Justement le tout est fait « au pif », donc pour mes essayes suivants j’ai cherché de définir la recette que vous pouvez voir ci de suite.
L’encre 2.0
Et voilà la recette
Encre taille-douce fait maison :
- 30g savon « mou » (savon de Marseille en pâte)
- 30 g d’huile de lin clarifiée (type beaux-arts)
- 1 trait d’essence d’aspic (essence de lavande pour beaux-arts)
- 40g huile de lin cuite (pour taille-douce ou imprimerie ou standolie)
- entre 10 et 30g de pigment (ici noir de mars, un oxyde de fer)
Le procédé
Je mélange d’abord le savon avec l’huile de lin clarifiée et, avec l’aide de l’essence d’aspic, j’obtient une émulsion pâteuse blanchâtre. En suite j’incorpore le pigment avec l’huile à diluer et le compost savonneux obtenu auparavant, le résultat doit être une encre de consistance crémeuse et un peu filante.
Une bonne encre doit, à l’impression, donner des traits nets, mais son pouvoir couvrant peut être varié en modulant la concentration de pigment pour obtenir de meilleurs résultats dans l’aquatinte ou la manière noire.
Autres ingrédients
En Italie, d’où je suis originaire, dans les prestigieuses écoles de gravure de la péninsule, on ajoute aux encres industriels des « charges », dont la plus commune est l’amidon de riz (extrait par les artistes mêmes).
Moi aussi, à la besogne, j’assaisonne mon encre avec des petites quantités d’amidon qui en font augmenter la masse, l’assouplissent et me facilitent l’essuyage, surtout quand j’imprime une planche en zinc.
Et le test
Je vous propose ici la vidéo de l’impression d’une planche très spéciale, plusieurs techniques sont présentes sur cette matrice en acier. Sortie d’un atelier de gravure parisien, elle date de la deuxième moitié du XIXe siècle et j’en suis venu en possession, avec d’autres au sujet classique, grâce à la générosité d’un imprimeur taille-doucier.
Comme j’ai décrit plus haut, sur cette planche il y a du burin, de l’eau forte de l’aquatinte et… de la rouille, elle présente une épaisseur d’environs 2 mm et le biseau des bords est très adoucis, arrondi même, car ce type de planches étaient destinées à l’estampe de pages de livre où n’apparaissait pas la typique « cuvette » que la planche en taille-douce laisse en s’enfonçant dans le papier durant l’impression.
Mais celle de cette planche est une autre histoire que, bien sûr, je vous raconterai dans un autre article… et avec des belles photos.
Différences
Vous l’avez peut être compris: ce que je prépare n’est pas tout à fait l’encre décrite sur les livres dont je vous ai donné le lien, dans ceux-ci c’est bien écrit que l’encre n’est composée que de « vernis » et de pigment, tandis qu j’ajoute une bonne quantité de savon.
Quelle est la différence ?
Eh bien, dans les livres je ne trouve que la recette de base depuis laquelle les imprimeurs préparaient leurs variantes. Variantes qui restent des secrets d’atelier dont on n’a plus la trace, ou presque, ces encres permettaient aux imprimeurs de réaliser des estampes avec toutes les techniques d’impression.
Il en est que, quand j’ouvre un ancien livre imprimé, j’y peux trouver des caractères mobiles qui sont en alliage de plomb et en relief, des gravures sur bois, elles mêmes en relief, et/ou des gravures en taille-douce qui sont en cuivre, cuivre aciéré ou acier, ces dernières sont gravées en creux, ce qui fait la principale différence…
Effectivement je pourrais imprimer des gravures en taille-douce avec un encre constitué que de pigment et d’huile, le séchage après l’impression sera beaucoup plus lent et il sera plus compliqué d’essuyer la planche, intervient alors le savon qui a une fonction « tensioactive ». Un tensioactif réduit la « tension superficielle » des surfaces et… je vous laisse compléter vos connaissance sur ce thème ici et ici.
J’ai nommé l’estampe avec des gravures en relief, plus correctement appelées en « taille d’épargne », je vous invite donc à lire mon article traitant aussi de l’encre que j’ai préparé pour cette technique qui est bien plus semblable à celui décrit par ces livres.
De la couleur
Bien sûr j’ai fait mon encre de couleur aussi, pour cette expérience je n’emplois pas de pigments secs mais j’utilisé des couleurs à l’huile de très bonne qualité.
La qualité de la couleur employé est importante, il s’agit de couleurs à l’huiles composées que de pigments purs et huile de lin clarifiée, sans additifs, charges ou siccatifs.
À bien regarder, la composition des couleurs à l’huile, c’est la moitié de ma recette.
Avec cet idée bien établie, je n’ai fait que moduler les ingrédients pour réaliser mon encre de couleur, mais tout d’abord, comme vous voyez sur la vidéo, j’ai « dégorgé » la quantité établie de couleur sur un bout de papier absorbant (une estampe ratée), pour ôter le surplus d’huile qui pouvait rendre trop souple mon encre.
Sans avoir absolument idée des pourcentages des ingrédients présents dans les couleurs à l’huile, il va de soi que ce ne sont que l’intuition et l’expérience qui peuvent aider le plus dans l’exécution de cette préparation, mais (j’en mets des « mais » dans mes textes) j’ai quand même un bonne marge, nous sommes dans un mélange simple, pas dans la réalisation d’un composant chimique qui implique des réactions moléculaires, les ingrédients sont quasiment inertes, leur PH est entre le neutre et le faiblement basique, chose qui est bien pour la conservation de notre estampe.
Argumentations
Eh oui, il faut bien que je vous explique quelles sont les raisons, au delà d’avoir satisfait ma curiosité, pour lesquelles je continue à préparer mon encre taille-douce fait maison et pourquoi je vous encourage à le faire aussi.
Je trouve très amusant de faire moi-même beaucoup de choses, c’est probablement dû à ma formation dans les métiers d’art, mes maîtres me disaient toujours – si on a pas nous allons le fabriquer. Qu’il s’agissait d’un outil, d’un réactif chimique ou d’un meuble nous allions trouver la solution.
En plus de cela je me suis découvert une certaine sensibilité écologique, un désir de authenticité, d’éloignement des produits industriels et d’abandon d’une consommation sans freins.
Préparer l’encre taille-douce fait maison devient donc un défi écologique, car pour le produire j’utilise des ingrédients simples, non polluants (mais attention aux pigments que vous choisissez) et, quand nécessaire, les protections individuelles sont aussi basiques (lunettes anti éclaboussures, gants et fenêtre bien ouverte, mais encore attention aux pigments, voir en conclusion d’article).
En plus de ça je ne produis, et je n’utilise, que les quantités d’encre nécessaires pour mes impressions dans le court terme, de ce fait je réduis mes déchets, car ça m’est déjà arrivé de jeter une vieille boîte d’encre plutôt que d’essayer de la récupérer… qui ne l’a pas fait.
Désavantages et défauts
Il m’a paru tout de suite naturel, simple et, dirais-je, « trop facile » de faire mon encre moi même.
Oui, j’y croyais pas, mais effectivement ça marche très très bien cette encre.
Après, dans l’immédiateté du résultat, très satisfaisant, de l’impression, mes doutes se focalisaient sur la stabilité et la durabilité de l’estampe, effectivement je craignais un peu le surgissement d’effets néfastes de l’encre sur le papier, comme des auréoles, ou des tâches ou encore qu’après séchage il y ait le détachement de l’encre de la feuille.
Mes raisonnements théoriques étayent rassurantes, l’utilisation de cette encre par un maître de l’art d’imprimer était une garantie, mais la crainte restais, au moins jusqu’à l’expérimentation dans une situation réelle, répété et avec des observations dans le temps.
Tout a bien fonctionné, finalement, après 2 ans depuis mon premier tirage à l’encre maison les estampes n’ont aucun défaut ni dégénération, je peux considérer cet expérience positivement aboutie.
En conclusion
J’ai appris beaucoup, c’est bien toute la recherche effectuée à priori qui m’a plongé dans une époque où l’art de l’estampe était primordial pour la culture de l’Humanité.
Maintenant, je ne vous écris pas sur une feuille de papier, mais sur une page virtuelle, immatérielle, le progrès est merveilleux et c’est grâce à la numérisation d’innombrables livres anciens que j’ai pu récupérer cette antique technique me permettant de réaliser mes œuvres diversement.
Ici de suite quelque indications sur les bons gestes pour réaliser la recette de l’encre taille-douce fait maison sans prendre des risques inutiles.
Advertences
Les dangers auxquels faire attention :
L’essence d’aspic – utiliser dans un espace bien aérée, portez de gants, très inflammable, peut donner allergie par contact et inhalation, et peut donner la mort par ingestion.
Huile de lin – les chiffons ou les papiers imbibés d’huile de lin peuvent prendre feu par auto-combustion, l’idéal est de mettre les chiffons, destinées à être jetés, dans un bidon plein d’eau.
Les pigments – peuvent être très dangereux, consultez la FDS (Fiche des Données de Sécurité) avant votre choix, en ligne générale n’en respirez pas les poussières. Pour les noirs privilégiez le noir de mars, le noir de vigne, évitez le noir de fumée.
Ne mangez pas, ne buvez pas, ne fumez pas (profitez-en pour arrêter) quand vous faite votre encre et, en ligne générale, quand vous faites de la gravure.